Chaleureuse Albanie

De retour sur l’asphalte, on s’arrête au premier jet d’eau que l’on trouve près d’une poignée d’habitations bordant la route afin de décrasser nos engins maculés de boue. Deux gamins qui reviennent de l’école nous observent, intrigués, et je les prends sur mon porte-bagage pour un petit tour de test. Ils en redemandent, poussant chacun leur tour à la montée pour prendre plus de vitesse, mais après cinq-six allers-retours, il est aussi temps pour nous de repartir. Nous leur adressons un dernier signe de main alors que nos roues s’emballent dans la pente – lisse! sans aucun trou! – et sur mon visage s’étend un large sourire, plus rayonnant encore que les deux qui nous disent au-revoir ensemble, si heureux d’avoir pu égayer ces deux jeunes âmes qui ont inopinément croisé notre route.

La vallée interdite

Même en plein jour, le chemin qui sépare la maison de Zephyr de la route nous pose quelques problèmes. La pluie l’a rendue encore plus boueuse que la veille et Wilhelm ne cesse de s’embourber dans cette épaisse bouillie aux allures de zone sinistrée. En plus, j’ai remarqué ce matin au réveil que des habits se trouvant à l’intérieur d’une de mes sacoches — étanches, soit dit en passant — ont pris l’eau dans la nuit… rien de quoi égayer un début de journée. Heureusement que l’on a passé une excellente soirée et que l’on a bien pu se reposer, sinon, je pourrais presque être en rogne.

Le sens de Zéphyr

Nom d’un chien, il fait froid! Clément et moi nous réveillons à six heures sur la plage après une nuit un peu trop courte à mon goût et j’ai toutes les peines du monde à sortir de la tente. Mais quand faut bouger, faut bouger. Quelques exercices et un bon muesli un peu plus loin sous les premiers rayons du soleil, et la journée peut commencer.

Metzengerstein et les bourlingueurs

Depuis que Metzengerstein partageait sa route avec François le Clément, un aventurier savoyard hors-pair parti de chez lui en direction du Levant avec la ferme conviction de ne point se retourner avant de voir à nouveau sa demeure au-devant, les deux cavaliers avaient traversé les vestiges de vieilles civilisations perdues et pu faire la découverte de l’hospitalité sans égal des montagnes de l’Illyrie septentrionale.

La religion, la seule, la vraie

Il fait maintenant nuit noire, le froid commence à traverser nos vêtements malgré les énergiques coups de pédale qui nous tirent au faîte de la pente et le vent qui se lève annonce une tempête imminente. Soudain, alors que la déclivité s’atténue enfin, la silhouette d’un imposant bâtiment se découpe dans la pénombre et un étroit chemin accidenté plonge vers lui sur notre gauche. Ça doit être le couvent! Tentons notre chance!

On est tous cousins

Comme précédemment avec le Kosovo, le passage d’un pays à un autre n’implique aucun grand changement culturel. Alors que l’on laisse Skopje derrière nous, les vendeurs de fruits sont Albanais, les gens que l’on croise parle albanais et les voitures klaxonnent à l’albanaise. À peine sur la route, on se fait inviter pour le café par quelques hommes occupés à couper du bois…

Mieux que votre feuilleton du soir

Le vent souffle en bourrasques autour de moi et entraîne mes pensées dans de virevoltants tourbillons. Mon esprit divague au hasard, se plongeant tantôt dans une longue réflexion élaborée, puis survolant presque inconsciemment une série d’images que les paysages m’inspirent, que ma mémoire reconstruit, ou même surgissant de vraisemblablement nulle part. Je pédale ainsi, parfois devant, parfois derrière Clément, et je suppose qu’il doit également être absorbé dans de profondes méditations, puisque l’on se retrouve durant d’importants laps de temps si éloignés l’un de l’autre que l’on ne se voit plus, comme si l’on voyageait en solitaire, comme si l’autre n’existait plus. Encore un avantage du vélo: bien que parcourant la route à deux, on peut toujours s’isoler tout en continuant d’avancer quand le besoin s’en fait sentir.

Le malaise du célibat

Ce matin, pas de stress, on part même un peu tard, mais ce n’est pas un souci vu que notre objectif de la journée se limite à venir à bout du col qui nous fait face – quoique Clément le redoute un peu, ma carte indiquant une montée de vingt-cinq pour-cents à un certain point. Avec un peu de musique pour accompagner l’ascension, on se motive à « coups de caisse claire qui claque » et de « trucs qui t’déstressent la nuque ». Une ascension qui nous fait découvrir une région très alpine des Balkans avec des cimes que l’on pourrait tout à fait admirer en Suisse – pour dire, même les maisons ressemblent à nos chalets.

Welcome to New-Switzerland

Les yeux rougis, la gorge sèche et la cervelle défraichie, je me réveille péniblement de mon sommeil de plomb. Entre mes paupières à peine ouvertes, j’observe l’agencement de la chambre dans laquelle j’ai dormi, une chambre qui m’est complètement étrangère… Mais je suis où? Ah oui! ça me revient: le vélo, Gyakovë, le Kosovo, Neo… c’est bon, j’ai remis les choses en place. Clément est déjà debout, j’essaie de m’activer avec grande difficulté: boire de l’eau, s’asperger le visage, se rhabiller… Allez, c’est reparti!

Leçon de vie

Et voilà! un nouveau pays! Et un pays que l’on se réjouit d’aborder, d’autant plus que, sur le panneau de la douane qui indique les limitations de vitesse du pays, on remarque que les dessins pour autoroute et semi-autoroute sont tout bonnement barrés. Mais étrangement cette fois, la culture reste la même, on reste avec les Albanais. La frontière se trouvant au sommet d’un col, une belle descente nous amène en un rien de temps vers l’intérieur des terres et la ville de Gyakovë où nous décidons de nous arrêter pour dîner. Une entrée en matière avec le Kosovo assez inoubliable, la route pénétrant dans la cité nous conduisant à travers un quartier aux allures de bidonville avec des groupes de gitans entourés de matériaux récupérés, des carcasses de voitures et des masures croulantes sur le bas-côté. Mais tout cela dégage également beaucoup de vie et d’innombrables surprenantes expressions, les marchands ayant déployé leur étalage sur le bord de la route ou tout simplement vendant leurs produits depuis un véhicule débordant de marchandises – on voit même l’un d’eux roupiller tranquillement dans sa camionnette sur une montagne de choux.